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Par auteur > Bories Olivier

Filmer l'artificialisation d'une frange urbaine pour montrer la transformation des paysages périurbains et des stratégies d'acteurs dans la construction du projet de territoire.LecasdeVigoulet-Auzil (agglomération toulousaine)
Olivier Bories  1, *@  
1 : UMR CNRS 5193 LISST-Dynamiques rurales
CNRS : UMR5193
* : Auteur correspondant

Contexte et problématique

L'aire urbaine toulousaine a perdu 8% de sa surface cultivée entre 2000 et 2010. La métropole continue de s'étaler malgré l'effort de densification. Les franges urbaines s'épaississent par développement d'unités loties. Elles prennent la place des champs et organisent le jeu de la spéculation foncière. Les « espaces ouverts » (Banzo, 2015) de la campagne périphérique sont progressivement comblés. Le paysage des franges urbaines toulousaines change d'esthétique et se fait plus minéral. A quelques encablures du centre-ville de Toulouse il reste une zone de coteaux préservée de l'artificialisation. Les communes du secteur y ont usé de la réservation foncière dans les documents de planification pour défendre la qualité agricole du cadre de vie. Avec les Pyrénées en toile de fond, ce sont les champs et les petits espaces boisés qui fabriquent un panorama unique et le lieu de vie de quelques résidents privilégiés. Ces habitants profitent d'une « enclave de nature agricole » cernée par l'urbanisation de la ville étalée. En 2013 les élus de la collectivité de Vigoulet-Auzil décident de déclasser trois zones agraires pour les rendre constructibles. Le secteur de Canto-Coucut doit être le premier occupé par un lotissement de 30 lots. Avec ce projet, la commune souhaite attirer des jeunes ménages pour redynamiser son territoire. A Vigoulet-Auzil, la population est vieillissante et l'école ferme des classes. La collectivité est une commune « dortoir ». Rapidement le projet d'urbanisation fait naître la contestation de certains administrés qui dénoncent la « brutalité » de la bétonisation, la disparation du foncier agricole et l'absence de concertation citoyenne. La résistance locale s'organise en association pour la protection des paysages et la conservation du patrimoine agricole. « La fronde » menée par quelques uns et la proposition d'utilisation du BIMBY pour urbaniser plus équitablement la collectivité - répartition de la richesse foncière, préservation de l'équilibre des masses urbain/rural - va bouleverser la programmation de l'artificialisation (Bories, 2015).

Dans ce contexte, le projet de recherche s'est intéressé à la construction des « dialogues » et à l'organisation des « contacts ». Le premier dialogue est spatial. A travers la proposition d'un nouveau projet de paysage pour la commune nous avons travaillé sur la rencontre physionomique de la ville et de la campagne, interrogé la mise en place de l'hybridation territoriale, montré comment s'opèrent l'alliance et l'articulation paysagère de l'urbain et du rural sur un espace de frontière et en transition. Le second dialogue concerne les acteurs. Il est celui qui permet l'instauration du dialogue précédent. Nous y avons étudié les stratégies d'acteurs, analysé les enjeux liés aux pratiques d'urbanisation et à l'aménagement d'un territoire qui définissent les positions des uns et des autres, travaillé sur les mécaniques d'adhésion et de résistance en investissant les représentations sociales qui guident les agissements de chacun. Le travail de recherche a donc permis d'interroger l'articulation et la rencontre de ces différents « dialogues » dans le cadre d'un projet territorial de frange urbaine.

 

Méthodologie

Nous avons réalisé une recherche en géographie sociale et en interdisciplinarité au sein de l'UMR CNRS 5193 LISST Dynamiques rurales, réunissant géographe-aménageur, sociologue et cinéaste. Conduite sur le temps long pour s'adapter au temps du projet de territoire en construction, la démarche scientifique s'est appuyée sur la sociologie compréhensive développée par M. Weber (2011) pour s'intéresser au sens que les individus confèrent à leurs pratiques mais surtout aux raisons qui les expliquent. Le travail s'est inscrit dans une approche de type qualitative. La méthode d'enquête par entretien conversationnel compréhensif (Granié, 2005) nous a permis de recueillir et d'analyser les représentations sociales qui construisent les positions, guident les agissements individuels et collectifs (Jodelet, 1992) et expliquent les stratégies d'acteurs, ici situées dans le projet d'aménagement. Nous avons utilisé l'audiovisuel et l'écriture filmique comme outil de relevé des données au plus près des réalités, du sensible, des émotions et comme résultat scientifique de la recherche. L'utilisation des images et des sons pour écrire autrement en sciences est aussi l'occasion de discuter la pertinence et la force didactique (Lefranc, 1948) d'une « socio-géographie filmique » en construction pour pratiquer la recherche en géographie sociale et en aménagement de l'espace.

 

Résultats

Le résultat de la recherche est le film-recherche (Fontorbes, 2013) que nous avons réalisé. Il s'intitule « des champs et des maisons ». Durant soixante-treize minutes le film montre d'abord ce que nous avons enregistré des caractères paysagers de ce morceau de périurbain toulousain en mutation et saisi des changements esthétiques induits par la programmation de l'artificialisation du territoire. L'audiovisuel nous donne ensuite la possibilité de révéler les confrontations d'opinions, les prises de positions et de pénétrer des stratégies d'acteurs complexes et « métissées ». Elles tiennent par exemple à la préservation de la qualité esthétique du cadre de vie, à la dynamisation démographique de la collectivité, à la peur du nouvel arrivant, au maintien de l'entre soi, à l'insertion citoyenne dans le développement des pratiques alternatives d'urbanisation,...

 

 

Bibliographie

Banzo, M., « L'espace ouvert pour recomposer avec la matérialité de l'espace urbain », Special issue 6, Articulo Journal of urban research, La fabrique des espaces ouverts, 2015.

 

Bories, O., « Filmer l'artificialisation d'une terre agricole périurbaine. Observer et analyser le changement d'affectation spatiale, la transformation paysagère et les jeux d'acteurs », Revue en ligne Projet de Paysage, 2015, URL : http://www.projetsdepaysage.fr

 

Fontorbes, J.P., La mise en scène des identités. Constructions scientifiques au croisement de mon cinéma et d'une sociologie, UT2 ESAV, Tome1 92 p, tome 2 100 p, tome 3 217 p, 3 films recherche, 2013.

 

Granié, A.-M., Figures de constructions identitaires. Regards croisés. Le film, le réalisateur et la sociologue, Habilitation à diriger des recherches, ESAV-université de Toulouse le Mirail, 2005.

 

Jodelet, D., Représentations sociales : un domaine en expansion, Les représentations sociales (D. Jodelet, Dir.), Editions Presses Universitaires de France, Paris, 1970, p. 47-79.

 

Lefranc, R., «Le film et l'enseignement de la géographie humaine», La Revue de géographie humaine et d'ethnologie, n° 3, Paris, juillet-septembre 1948, p. 51-57.

 

Weber, M., 2011. «De la sociologie compréhensive». Les cahiers psychologie politique, numéro 19, Août 2011, URL http://lodel.irevues.inist.fr/cahierspsychologiepolitique/index.php?id=1950.

 


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