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Par auteur > Demongeot Marilou

La culture de la ville et la persévérance du jardinier. Les figures de l'engagement révélées par les pratiques d'agriculture urbaine dans les quartiers parisiens de Stalingrad et de La Chapelle.
Marilou Demongeot  1, *@  , Richard Raymond  1, *@  
1 : Laboratoire dynamiques sociales et recomposition des espaces  (LADYSS)  -  Site web
Université Panthéon-Sorbonne : UMR7533
2, rue Valette 75005 Paris -  France
* : Auteur correspondant

Contexte et problématique

Le développement de l'agriculture urbaine est un des axes fréquemment évoqués pour construire ce que devrait être une ville durable. Or, l'expression "agriculture urbaine" désigne des formes de pratiques très diverses (Aubry et Pourias, 2013 ; Mundler et al., 2014). Celles-ci varient en fonction du type et de la localisation de l'espace cultivé, du type de productions réalisées, des fonctions qui lui sont assignées, du statut des personnes impliquées... Et cette diversité construit probablement, à son tour,à des formes de villes différentes dont la durabilité peut être à chaque fois questionnée. Flaminia Paddeu bouscule ainsi l'idée d'une panacée et interroge les ambiguïtés du rôle de l'agriculture urbaine dans les villes en décroissance (Paddeu, 2017).

Paris n'échappe pas au mouvement général, le développement de l'agriculture urbaine y est promu. Dans cette capitale extrêmement dense, l'agriculture urbaine prend souvent la forme d'un jardinage d'interstices variés : délaissés, bacs, sacs, pieds d'arbre... Nous nous proposons d'interroger les conséquences du développement de ces pratiques de jardinage pour la réappropriation de la ville par ses habitants. Ces formes de réappropriation seront analysées à partir des figures de l'engagement habitant que ces pratiques révèlent.

 

Méthodologie et résultats envisagés

Pour ce faire, nous sommes partis d'un travail de terrain. Cette entrée par l'espace nous a permis de ne pas restreindre notre analyse à des formes d'engagement ou d'agriculture urbaine définies a priori. Un secteur de Paris en forte mutation, les quartiers de Stalingrad et de La Chapelle, sert de référence à cette analyse. Nous y avons inventorié l'ensemble des espaces végétalisés à l'initiative des habitants. Ces espaces végétalisés forment ce qu'Andrew Newman nomme, dans un travail consacré à ce secteur de Paris (Newman, 2015), des communs urbains (urban commons).

Pour chacun de ces espaces végétalisés, nous avons recherché (1) les acteurs qui en ont été à l'origine et ceux qui les ont mis en culture, (2) les motivations de ces acteurs et leurs évolutions et (3) les ressources (techniques et cognitives) mobilisées. Notre méthodologie croise une observation fine de ces quartiers et des pratiques des acteurs avec des entretiens auprès de 45 acteurs impliqués dans ces pratiques de végétalisation. Dans quelle mesure ces communs observés sur le terrain fondent de nouveaux rapports à la ville ? Entraînent-ils un renouveau de la participation citoyenne, illustrent-ils une réappropriation de la ville par ses habitants ? Qui est intégré aux communautés qui en résultent ? Quels modèles de ville s'y dessinent ?

Nous montrerons qu'en plus de la diversité des projets et des acteurs rencontrés et de la multifonctionnalité de l'agriculture urbaine (Ba et Aubry, 2011 ; Lagneau et al., 2015), la dimension participative de l'agriculture urbaine peut être mise en questions. Celles-ci révèlent des dynamiques d'inclusion et d'exclusion à l'œuvre : certaines formes d'agriculture définissent des collectifs par une limite qui définit un dehors et un dedans, d'autres apparaissent donne des pôles ou des propositions à partir desquels peut se développer divers champs de possibles. Elles permettent de souligner l'importance de la dimension temporelle de l'engagement habitant. Ces aspects éclairent, en suivant les figures proposés par André Haudricourt (1962), les rapports à autrui, les formes de reconquête des territoires urbains (Renaud, 2002) et le déploiement du droit à la ville proposé par Henri Lefebvre (1968). La persévérance du jardinier apparait ainsi comme une forme d'engagement infra-politique (Faburel, 2015). L'opiniâtreté et la responsabilité dont le jardinier fait preuve à l'écart de l'espace végétalisé semble être un moyen de contournement des dispositifs institutionnels.

 

Aubry Christine, Pourias Jeanne (2013) "L'agriculture urbaine fait déjà partie du métabolisme urbain", Le Demeter, pp.135-152.

Ba Awa et Aubry Christine (2011) « Diversité et durabilité de l'agriculture urbaine : une nécessaire adaptation des concepts ? » Norois, no 221, p. 11-24.

Faburel Guillaume (2015) "Les éco-quartiers comme construction infrapolitique d'un habiter ?", Développement durable et territoires.Vol. 6, n°2.

Haudricourt André (1962) "Domestication des animaux, culture des plantes et traitement d'autrui", L'Homme 2(1), pp 40-50.

Lagneau Antoine, Barra Marc et Lecuir Gilles (2015) Agriculture urbaine, Vers une réconciliation ville-nature. Le passager clandestin, 320 p.

Lefebvre Henri (1968) Le droit à la ville, Anthropos, 164 p.

Mundler Patrick, Consalès Jean-Noël, Melin Gil, Pouvesle Cyril, et Vandenbroucke Perrine (2014) "Tous agriculteurs ? L'agriculture urbaine et ses frontières",Géocarrefour 89 (1), pp. 53-63.

Newman Andrew (2015) Landscape of Discontent, Urban Sustainability in Immigrant Paris. University of Minnesota Press. A Quadrant Book, 340 p.

Paddeu Flaminia (2017) « Sortir du mythe de la panacée. Les ambiguïtés de l'agriculture urbaine à Détroit » Métropolitiques

Renaud Yann (2002) "Le territoire de l'habitant", Labyrinthe, no 12, pp. 29-45.


Ce travail s'inscrit dans le cadre du projet ECOVILLE dirigé par P. Clergeau (Pr au MnHn) et financé par l'ANR.


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