Contexte et problématique
Les abords des villes sont des espaces où zones commerciales et champs agricoles sont juxtaposés sans autre relation entre ces usages qu'un rapport de concurrence. Les usages agricoles de ces terrains sont le plus souvent non pérennes et réalisés en l'attente de projets urbains futurs, si bien que l'agriculture et les agriculteurs apparaissent comme les grands perdants de l'évolution et l'extension des agglomérations urbaines, et ceci en dépit des observatoires, textes législatifs (Grenelle de l'environnement par ex.) et autres politiques qui affichent la nécessité de réduire la consommation de terres agricoles et de favoriser les liens entre agriculture et villes. Or, ces zones commerciales aux abords des villes sont également des lieux unanimement décriés comme vieillissantes, inesthétiques et correspondant à une époque (révolue ?) où la voiture individuelle était au centre des conceptions d'urbanisme et d'aménagement. C'est dans le double contexte d'une modernisation de la plus grande zone commerciale alsacienne et de préoccupation montante pour la reterritorialisation de l'agriculture (Rieutort, 2009) à la fois de la part des politiques locaux et gestionnaires de la ville et de la part des habitants et consommateurs qu'un projet d'agriparc a émergé. Le cadre théorique choisi pour étudier cette proposition d'agriparc est celui de la sociologie des innovations (Gaglio, 2011). Cette communication propose d'interroger le processus d'émergence de l'agriparc en tant qu'innovation : à la suite de Gaglio (op. cit.), notre approche sociologique s'intéresse au cheminement de cette idée, au récit de son élaboration et de son appropriation ou de son rejet par les différents acteurs, en incluant les transformations de l'idée initiale. L'innovation peut être envisagée sous deux angles dans ce contexte : 1. en quoi il s'agit d'une innovation dans la « fabrique » urbaine – c'est-à-dire à la fois dans la conception de la ville et dans la gouvernance et l'implication des acteurs dans l'élaboration de ces projets d'urbanisme ; et 2. Dans quelle mesure cet agriparc suppose des innovations dans les formes d'agriculture qui y seront mise en œuvre ?
Ce projet s'inscrit pleinement dans la catégorie des projets agri-urbains, définis par M. Poulot (2010) comme des lieux d'innovations qui permettent aux acteurs d'explorer de nouvelles modalités d'articulation entre des intérêts contradictoires et des actions sectorielles (Soulard, Margetic et Valette, 2011). Néanmoins, le cas de la zone nord de Strasbourg métropole suggère une certaine ambigüité des politiques de maintien de l'agriculture dans la ville : en définitive, s'agit-il de maintenir « de » l'agriculture (et laquelle ?) ou « des agriculteurs » (et lesquels ?) ? Qui sont ceux, parmi les agriculteurs, qui adhèrent au projet, et quels sont ceux qui s'en trouvent exclus ?
En particulier, le concept d'agriculture urbaine fait le lien entre des types d'usages et production très variés, depuis des agriculteurs « professionnels » jusqu'à des agriculteurs qui en font une activité complémentaire ou une activité de loisir. On analysera si le projet est conçu comme une forme de concession à des agriculteurs qui seront exclus de ces terrains par leur urbanisation, ou s'il s'agit d'une véritable proposition nouvelle qui crée un lien entre ces catégories d'agriculteurs urbains et leur permet de se côtoyer dans le même espace.
Méthodologie et résultats envisagés
La démarche méthodologique repose sur une approche qualitative (Paillé et Mucchielli, 2012), issue de la sociologie compréhensive (Kaufmann, 1996), qui analyse dans les discours produits les motivations et les logiques d'action. Une suite d'entretiens avec les principaux acteurs prenant part au projet sont en cours de réalisation. Ces entretiens visent à retracer le cheminement de ce qui peut apparaitre comme une innovation en matière d'aménagement urbain de la périphérie, en restituant les éventuelles résistances ou les rôles de chacun des acteurs dans l'élaboration du projet. Il s'agit également de discuter de la définition même du terme d'innovation : il faut distinguer une « nouveauté », une manifestation singulière dans un contexte précis, et un objet, conceptuel ou matériel, susceptible de connaitre une diffusion plus large. Or, l'agriparc est-il une innovation ? Il a des précédents (Montpellier parmi les plus connus) : les porteurs du projet s'en sont-ils inspirés ? Peut-on déceler un modèle susceptible d'inspirer d'autres agglomérations dans leurs projets urbains ?
Le résultat de cette communication est donc une déconstruction du terme d'agriparc à partir d'un cas précis et une mise en lumière des conceptions des (nouvelles) articulations entre la ville et l'agriculture que ce projet suppose. Au-delà de l'analyse de cas, il s'agit de resituer les enjeux par rapport à la diffusion d'une forme d'agriculture urbaine, et par rapport aux enjeux de maintien de l'agriculture dans la ville
Cette proposition s'inscrit à la fois dans la réflexion du thème 2 « ruralité et urbanité en dialogue » en proposant une étude d'un cas où l'agriculture est pensée dans ses fonctionnalités urbaines et intégrée dans la modernisation des abords de la ville et d'un lieu emblématique de consommation ; et dans le thème 3 « Franges urbaines et périurbain, territoire d'interface » puisqu'il s'agit d'un cas de politique des collectivités locales intégrant l'agriculture et l'alimentation au projet urbain.
Références bibliographiques :
- Présentation